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Il leur fallait un nom
Marin Sorescu
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Eminescu n’a jamais existé.
Il n’y a jamais eu qu’on beau pays.
Posé sur le bord d’une mer.
Oú les vagues venaient s’enrouler.
Tels les poils emmêlés d’une barbe
de guerrier,
Et des rivières où la lune se
blottissait
Et qui coulaient comme autant de forêts.
Il y a eu, surtout, des hommes simples
Qui s’appelaient : Mircea le Vieux ou Etienne
la Grand
Ou bergers et laboureurs, tout simplement,
Et qui aimaient à dire des poèmes,
Le soir, autour du feu, -
Mioritsa, Luceafãrul, ou la Lettre
Troisième.
Mais comme ils entendaient leurs chiens
Aboyer sans répit
Autour des bergeries,
Ils partaient faire la guerre aux Huns, aux
Polonais,
Aux Turcs ou aux Avars.
Et quand ils avaient un moment,
Entre deux dangers,
Leurs flûtes se changeaient
En glissoir enchantés
Pour les larmes des pierres attendries,
Par oû s’écoulaient les Doïné
Du haut des montagnes de Moldavie, de Munténie,
Du Pays de Bîrsa, du Pays de Vrancea
De tous les Pays de Roumanie.
Il y a eu aussi de profondes forêts
Et un jeune homme qui leur parlait
Et qui leur demandait : “Pouquoi trembler,
Douce forêt, lorsque ni pluie ni vent
ne fait ?”
Ce jeune homme, aux yeux noirs
Comme notre histoire
Allait et venait, accablé de
pensées,
Des livres du passé au livre de la
vie,
Sans cesser de compter les peupliers,
Les pleupliers de la lumière, de la
justice et de l’amour,
Qui restaient impairs à jamais.
Il y a eu des tilleuls aussi,
Et deux amuoreux qui savaient, en un seul
baiser,
Faire tomber toutes leurs fleurs
En congères dorées.
Et des oiseaux ou des nuages
Qui glissaient au-dessus d’eux comme
De longues et mouvantes plaines.
Et comme il leur fallait un nom, à toutes
ces choses-là,
Un seul nom,
On les a appelées :
Eminescu.
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Transcribed by Dani Busuioc
School No. 10, Focsani, Romania
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